Ce film, qui révéla le réalisateur Gus Van Sant à la critique américaine, est resté complètement inédit en Europe pendant plus de 20 ans. Aujourd’hui, cette œuvre urgemment indépendante arrive sur les écrans.
Walt est un jeune homosexuel propriétaire d’une petite épicerie à Portland, Oregon. Un jour il rencontre Johnny, un mexicain arrivé clandestinement aux Etats-Unis avec un ami. Le sympathique commerçant va avoir un coup de foudre absolu et va dès lors tout tenter pour se rapprocher de ce jeune-homme qui le touche et le fait fantasmer…
Tourné en 1985, en noir et blanc et pour un budget dérisoire, l’histoire de ce film s’articule autour d’une figure imposée dans l’œuvre du réalisateur : le jeune-homme à l’aura mystique et à la beauté de voyou. Que ce soit le jeune drogué de « Drugstore cowboy », les prostitués de « My own private Idaho », l’ouvrier génial de « Will hunting », ou encore les écoliers skaters de « Elephant », ils sont issus ou évoluent dans un milieu modeste, voire très pauvre et sont, de toute façon, des marginaux. Les deux immigrés mexicains à la beauté dangereuse et fascinante de « Mala noche », eux, ne parlent quasiment pas l’anglais, portent des armes dans leurs jeans moulants et s’offrent avant de disparaître. Des fantasmes insaisissables.
De par leur origine, les personnages servent un discours social et politique également cher au réalisateur. En toile de fond, l’immigration, mais aussi la pauvreté d’une certaine Amérique. Cela se raconte à travers la manière de montrer les quartiers pauvres de la ville de Portland : un décor âpre, rude, miséreux où les personnages semblent tourner en rond. Un quotidien à peine égayé par quelques échappées à la campagne.
En filmant les visages et employant dans leur propre rôle des personnes réelles croisées dans la rue, Gus Van Sant ajoute une dimension quasi-documentaire et extrêmement touchante à ce premier long-métrage. Le noir et blanc, splendide, accentue ce réalisme dans les scènes de jour et donne une ambiance singulière aux scènes nocturnes, à l’image d’une superbe scène érotique ou les corps sont suggérés par un éclairage très contrastés.
Certes, le jeu des acteurs est parfois approximatif et la rapidité du montage amène un enchaînement un peu rapide des événements. Mais c’est surtout l’urgence de raconter, l’énergie et la fougue qui dominent et donnent toute son originalité au film. Un magnifique témoignage de ce que peut être un cinéma indépendant caractérisé par l’audace et surtout, par le désir. Même si l’on est forcément encore loin de la radicalité de ses derniers films, « Mala noche » nous fait découvrir les germes d’une des filmographies les plus intéressantes du cinéma contemporain.
« Mala noche » de Gus Van Sant, 1985. Avec Tim Streeter, Doug Cooeyate, Ray Monge.
Au cinéma dès le 28 février 2007.