«Victoria » n’est que le second long-métrage de Justine Triet après « La bataille de Solferino » (2013) et il faut déjà lui reconnaître une personnalité tout à fait remarquable qui s’exprime à travers une réelle originalité de ton, un vrai talent d’écriture et de réalisation, des choix de thématiques récurrents audacieux ou encore sa façon de diriger ses comédiens.
Victoria Spick est avocate. Divorcée et mère de deux enfants, elle est complètement débordée dans son quotidien. Entre les problèmes de son meilleur ami accusé d’agression au couteau qui lui demande de le défendre, son ex-mari qui publie des choses affreuses sur elle sur internet et un ex-dealer qu’elle a défendu et qui squatte chez elle, la grosse crise et la dépression ne sont pas loin.
Pour ce qui est de la tonalité du film (et malgré ce que la promotion veut nous laisser croire) nous ne nous retrouvons pas spectateurs d’une comédie uniquement hilarante ou lourdingue mais plutôt devant une tragi-comédie d’auteur, parfois absurde, parfois émouvante, un peu comme un Woody Allen à la française. Avec un côté assez trash au vu de certains sujets traités comme le sexe, la drogue, la dépression.
Car les personnages sont névrosés, ont des vies bordéliques, des problèmes intimes, familiaux, professionnels, … bref, une de mes première pensée en sortant du film fût de me dire que la vie de ces personnages était un vrai foutoir ! Foutoir représenté d’ailleurs par les décors des lieux où se passent les scènes : les appartements sont encombrés de désordres et d’objets de toute sorte, il y a des dossiers un peu partout, des centaines de livres empilés chez le psychiatre, … tout ce bordel, auquel s’ajoute une vraie qualité d’écriture, un humour subtil, des dialogues parfaits et des idées de situations tout à fait cocasses, confèrent quelque chose de très vivant, de très direct au film.
Loin de certaines comédies bête ou alors gentille tout plein, le film a aussi le courage d’aborder les blessures et les difficultés de la vie avec une vraie franchise et de questionner le style de vie dans nos sociétés modernes. Il nous parle du stress, du rythme affolant de nos vies, de la superficialité des relations, de l’absurdité de l’existence. Et même si tout ça est lourd à porter, il faudra bien faire avec à un moment donné et tenté de faire la paix avec l’existence et avec soi-même.
Si l’on est dans une réalisation tout sauf réaliste, avec des choix de mise en scène audacieux et dans un univers clairement fictif et très stylisé, paradoxalement, tout somme très vrai et très juste. Je pense d’ailleurs que c’est en ça que le film est une réussite : quand une œuvre clairement fictive parvient à dégager une telle vérité.
Les comédiens sont tous excellents, il y a une très bonne direction d’acteur et ceci même pour les plus petits rôles. La diseuse de bonne aventure par exemple, une grosse mama bourrue qui bougonne non-stop, est très drôle. Il y a Melvil Poupeau, parfait dans son personnage de séducteur dépressif, maître-chanteur affectif et qui pue les emmerdes à des kilomètres, Vincent Lacoste, dont la nonchalance colle parfaitement à un personnage à la vie un peu foutraque mais finalement peut-être le plus posé et calme de l’histoire et, bien entendu, Virginie Efira qui est impeccable. Ce rôle qui passe par plein d’états, d’émotions, de situations de vie, lui permet de proposer une palette de jeu impressionnante. Et toujours avec beaucoup de sincérité, de simplicité. Pour moi, c’est encore une étape de plus dans la confirmation du talent de cette actrice après ses premières apparitions pleines de spontanéité et aussi une séquence d’ouverture très convaincante dans « Un homme à la hauteur ». Une nomination aux Césars serait bien méritée pour ce qui est aussi un magnifique portrait de femme.
« Victoria » est une superbe comédie dramatique, qui parle des blessures, de la difficulté de vivre, de l’absurdité de nos sociétés mais avec un humour brillant et beaucoup de justesse. Pour moi c’est une des meilleures comédies vues depuis longtemps et certainement un des meilleurs films que vous verrez au cinéma cette année.
« Victoria » de Justine Triet, 2016. Avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud, Laurent Poitrenaux.
Au cinéma dès le 14 septembre 2016.