Dans ce nouveau film, le réalisateur et scénariste Guillermo del Toro met en scène une histoire d’amour entre une femme et une créature mi-homme mi-poisson. Cette romance est-elle ce qu’il y a de plus intéressant et de plus réussi dans le film ? Pas forcément.

Se déroulant en 1962 aux Etats-Unis, en pleine guerre froide, « La forme de l’eau » nous raconte donc la rencontre entre Elisa Esposito, une femme muette qui travaille comme nettoyeuse dans un laboratoire gouvernemental ultrasecret, et une créature qui y est retenue prisonnière. Un lien très fort va s’établir entre eux. Mais certaines personnes souhaitent disséquer le monstre pour l’étudier.

A cause du scénario, l’aspect romantique n’est pas ce qui fonctionne le mieux dans le film. Tout d’abord, l’histoire d’amour n’a pas le temps de naître devant nos yeux et de nous émouvoir : les scènes de rencontres sont trop brèves et la relation s’établit trop rapidement. On ne comprendra l’attachement de la jeune-femme à la créature que plus tard, lors d’une scène bouleversante où, en langage des signes, l’héroïne muette exprime à son voisin et ami ses sentiments pour la créature. Une scène qui intervient trop tard pour rendre cette relation touchante. Dans ses péripéties, cette histoire d’amour est aussi assez convenue. Parfois, elle n’évite pas non-plus la guimauve, notamment lors d’une séquence de danse en noir et blanc un peu mièvre.

Le film est maintenant beaucoup plus réussi dans sa façon de raconter la vie d’un personnage un peu différent et sa place dans la société. Et n’est-ce pas vraiment ceci qu’a voulu mettre en avant le réalisateur et scénariste ? Le film commence par une voix off qui dit « Si je vous parlais d’elle, la princesse sans voix, que vous dirais-je ? ». Dès lors, c’est le portrait de cette femme un peu isolée et marginalisée qui va se dessiner tout au long du film. Ces caractéristiques vont même se généraliser à tous les personnages de l’histoire : la créature, bien entendu différente physiquement mais aussi racialement, le voisin et ami homosexuel également artiste dont l’art n’est plus au goût du jour, la collègue nettoyeuse afro-américaine et ses problèmes de couple, l’espion isolé par son statut ou encore le colonel dont la vie sans émotions se résume à la réussite matérielle et professionnelle. A travers tous ces personnages, et comme il l’a déjà fait souvent dans ses précédents films, Guillermo del Toro exprime l’amour, la tendresse et le respect qu’il porte à la fragilité, aux différences et aux créatures, qu’elles soient humaines ou fantastiques, et questionne la place qui leur est accordée dans nos sociétés. Puisqu’on parle des personnages, j’en profite pour dire tout le bien que je pense de la direction d’acteurs, de la qualité et de la subtilité de toutes les interprétations dans le film : Sally Hawkins, Octavia Spencer, Richard Jenkins, Michael Shannon, Michael Stuhlbarg, Doug Jones… ils sont tous vraiment excellents.

Il me faut bien entendu parler de la magnifique réalisation qui, dès le générique, foisonne d’idées de mise en scène, de plans superbes, de poésie et qui nous emporte dans un univers de merveilles visuelles et cinématographiques. Du mélodrame au film d’horreur en passant par la comédie musicale ou le film d’espionnage, « La forme de l’eau » est aussi un hommage au 7ème art. D’ailleurs, l’appartement du personnage principal ne se trouve pas au-dessus d’une salle de cinéma par hasard…  J’aime encore certaines audaces et une liberté de ton qu’on trouve dans le film : la masturbation y est montrée comme un acte tout à fait banal, les séquences et éléments horrifiques sont pleinement assumés tout comme les scènes de sexe entre la femme et la créature.

Récompensé par un Lion d’or au Festival de Venise, par un Golden Globes du meilleur réalisateur et nommé treize fois aux Oscars, « La forme de l’eau » ne délivre pas assez d’originalité dans son écriture et pas autant d’émotions qu’espéré. Il reste néanmoins un bonheur de cinéphile riche d’un regard d’une grande poésie et d’une infinie tendresse.

« La forme de l’eau » (The shape of water) de Guillermo del Toro, 2017. Avec Sally Hawkins, Doug Jones, Richard Jenkins, Octavia Spencer, Michael Shannon, Michael Stuhlbarg.
Au cinéma dès le 21 février 2018.

La forme de l'eau
Un beau conte aquatique7
7SUR 10